ESPACE (CONQUÊTE DE L’)

ESPACE (CONQUÊTE DE L’)
ESPACE (CONQUÊTE DE L’)

L’EXPLORATION de l’espace est l’une des entreprises majeures de notre temps. Les pages qui suivent donnent une description des premières phases de cette conquête. On verra quels problèmes elle a posés, quels moyens puissants ont été mis en œuvre pour les résoudre et quels furent les premiers résultats. Cependant, avant d’aborder cet aspect technique, il paraît bon d’apprécier, aussi exactement que possible, l’intérêt et les perspectives de l’entreprise: que peut-on apprendre de l’exploration de l’espace? que nous a-t-elle déjà apporté?

À l’origine des découvertes, il y a toujours un Eldorado, une route des Indes, une pierre philosophale, une question trop grande, un mythe dont seuls des illuminés osent parler sans sourire. Ce sont pourtant ces grandes questions qui constituent pour l’homme la plus grande motivation, dès qu’il possède la moindre liberté. Mais il faut à sa raison des raisons plus concrètes. Qu’est-ce donc qui justifie l’entreprise spatiale au regard d’un esprit froid?

Les raisons les plus pures sont ici scientifiques. En visitant la Lune et en explorant les planètes, l’homme a mieux compris la structure des corps célestes, et leur origine. L’astronomie en fut la première bénéficiaire; car non seulement nous connaissons mieux les planètes, mais, en plaçant des observatoires hors de l’atmosphère, nous voyons l’Univers sans voiles, sans absorption, dans toute l’étendue de ses rayonnements, alors que seulement une faible partie nous en est perceptible depuis le sol. Toute notre connaissance du cosmos s’en est trouvée profondément modifiée. Les objets que l’on pouvait croire les plus familiers ont révélé un nouveau visage: on peut étudier le Soleil sans l’écran de l’atmosphère. Vue de tels observatoires, la Terre elle-même a été beaucoup mieux appréhendée, et la météorologie, par exemple, s’en est trouvée transformée.

On a coutume de présenter comme prioritaires les motivations économiques. Mais il ne semble pas que l’espace puisse fournir bientôt de nouvelles sources de matières premières ou un sol vierge à exploiter. Trop peu de choses valent la masse considérable de propergol qui les transporterait.

En réalité, les résultats les plus nets de l’exploration spatiale sont acquis sur Terre et sous nos yeux. Tout d’abord, les qualités techniques raffinées exigées du matériel spatial ont conduit les industries des pays responsables à un degré de précision et de sûreté sans précédent. Aussi ont-elles d’un coup progressé bien plus que leurs concurrentes: la miniaturisation a provoqué un bond en avant de l’électronique. Les télécommunications par satellites se sont développées. Cela donne aux «nations spatiales», dans la technique, dans l’information, dans les diverses possibilités militaires qu’il convient de ne pas oublier, une supériorité écrasante. Peut-être plus importante encore est la manière dont les programmes d’exploration ont été conduits. Pour la première fois, la méthode cartésienne de décomposition des problèmes en éléments précis a été appliquée, non par un seul cerveau, mais à l’échelle d’un groupe considérable. Pour la première fois, les hommes ont su diviser leurs problèmes en des milliers de questions, de sorte qu’un spécialiste, non plus une fourmi anonyme, pouvait traiter chacune d’elles. Cette échelle de coopération a accru encore l’avance de ceux qui savent et peuvent l’appliquer.

Si, au lieu de considérer des nations, nous portons les yeux sur l’humanité, nous percevons que tous les espoirs sont permis. Tout d’abord, l’entreprise spatiale a été la première coopération d’hommes non interchangeables, tous nécessaires et dévoués à une seule cause. Jusqu’alors, c’est surtout le génie individuel qui avait été le principal moteur des découvertes. L’apparition du génie collectif nous montre à quel point la physique est susceptible d’être maîtrisée. Ne faut-il pas voir là une nouvelle forme de science qui sera celle de tous, qu’aucun ne possédera entière, tout en étant guidé par elle? On ne peut que se demander, d’autre part, si l’on ne parviendrait pas, avec le même esprit de système et clarté, à résoudre d’autres problèmes plus lancinants, ceux du développement – mot pudique qui cache la misère – et de tant d’autres frustrations.

Car l’exploration de l’espace n’a pas pour seul intérêt les moyens que l’on utilise. Elle est aussi la source d’une vision plus vaste, d’un monde harmonieux soumis à des lois rigoureuses, mais capable d’une infinie multiplicité d’effets. Il est trop tôt pour imaginer quelles conséquences psychologiques et religieuses créera la familiarité de l’espace, bien qu’il ne soit pas interdit d’y discerner l’équilibre d’un Spinoza, plutôt que les peurs primitives que projette communément la science-fiction.

L’espace, tel qu’on le considère ici, comprend les régions de l’Univers situées au-delà de l’atmosphère sensible de la Terre. On peut dire pour simplifier que l’atmosphère terrestre s’étend jusqu’à une altitude de 160 km audessus de la surface de la Terre (tabl. 1). Une telle distance est petite en comparaison de l’immensité de l’Univers. Même dans le système solaire, les distances entre planètes sont mesurées en millions de kilomètres. Celle de la Terre à Pluton, la planète la plus extérieure, est de plusieurs milliards de kilomètres. Tandis que les planètes et leurs satellites se meuvent, à des vitesses différentes, autour du Soleil, le système solaire se déplace, quant à lui, dans notre Galaxie, la Voie lactée. Les étoiles les plus proches de la Terre sont situées à plus de quatre années de lumière.

Cet espace, difficilement imaginable, n’est cependant pas vide. À travers ces étendues illimitées, la matière, constituée essentiellement d’hydrogène, est éparpillée à la densité extrêmement faible de dix particules environ par centimètre cube dans l’espace interplanétaire, et d’un atome environ dans l’espace interstellaire. L’espace est empli de champs gravitationnels, traversé par un très large spectre de radiations électromagnétiques et par les rayons cosmiques, et occupé par des champs magnétiques. Jusqu’en 1946, tout ce que les savants avaient déduit sur l’espace l’avait été à partir d’observations faites depuis la Terre. Avec le lancement, après la Seconde Guerre mondiale, des fusées-sondes de haute altitude, des satellites et des sondes spatiales, il a été possible de découvrir directement la grande complexité des phénomènes de l’espace (tabl. 2).

Le rêve de l’homme de voler dans l’espace est certainement aussi vieux que l’astronomie. Dès que l’homme eut compris que les lumières du ciel nocturne étaient des corps réels – très éloignés –, le désir de les atteindre l’envahit. Des récits fantastiques de voyages jusqu’à la Lune, le corps céleste le plus proche de la Terre, remontent au IIe siècle (relation de Lucien de Samosate).

Mais des centaines d’années devaient s’écouler avant que fussent déterminés les mouvements des planètes autour du Soleil et les distances énormes qui nous en séparent. La connaissance qu’on avait de l’Univers évolua lentement jusqu’à l’invention de moyens d’observation. Au XVIIe siècle, la mise au point par Galilée d’une lunette lui permit d’étudier la Lune et les planètes, et d’accroître considérablement le savoir. D’autres observations faites à la lunette confirmèrent le modèle de système solaire décrit par Copernic un siècle plus tôt. Kepler calcula les orbites elliptiques des planètes. Puis Isaac Newton formula ses célèbres «lois du mouvement», qui donnaient enfin à la physique et à l’astronomie leur fondement. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que l’homme fit les premières ascensions en ballons libres. Les quelques récits de voyages dans la Lune que l’on vit paraître aux XVIIe et XVIIIe siècles étaient de pures œuvres d’imagination et non des prolongements de la technologie. Jules Verne, cependant, dans De la Terre à la Lune (1865), utilisait de nombreuses hypothèses sur le vol spatial qui se sont révélées correctes. Quelques années plus tard, Edward Everett Hale, dans The Brick Moon , donnait également le récit du voyage d’un satellite artificiel construit pour être utilisé par des marins à des fins de navigation. Au début du XXe siècle, les romans de science-fiction de H. G. Wells, La Guerre des mondes (The War of the Worlds , 1898) et Les Premiers Hommes sur la Lune (The First Men in the Moon , 1901), attirèrent l’attention.

Trois hommes exceptionnels de cette époque méritent cependant le titre de pionniers des fusées. Mathématiciens, physiciens et professeurs, ils se représentèrent les premiers, de façon réaliste, la possibilité du vol au-delà de l’atmosphère. Il s’agit du Russe Konstantin Edouardovitch Tsiolkovski, de l’Américain Robert Hutchings Goddard et de l’Allemand Hermann Oberth. En 1900, on était cependant loin du niveau technologique permettant de réaliser des vols d’engins propulsés par des fusées, mais l’étude théorique et dynamique de tels vols fut alors développée très activement.

C’est seulement à la fin de la Seconde Guerre mondiale que les Allemands atteignirent un niveau remarquablement élevé en ce qui concerne la propulsion par fusées d’avions et de missiles guidés (notamment les V 2). Après la capitulation du IIIe Reich, en 1945, les États-Unis et leurs alliés – la Grande-Bretagne, la France et l’U.R.S.S. –, purent utiliser les connaissances techniques que les Allemands avaient acquises sur les fusées. En particulier, le directeur technique de la recherche allemande sur les missiles, Wernher von Braun et quelque cent cinquante de ses adjoints directs se rendirent aux troupes américaines. Émigrant aux États-Unis, ils y assemblèrent les V 2 et établirent un programme de lancement de ces fusées qu’on avait transportées aux États-Unis. Cette tâche fut poursuivie, de 1946 à 1952, au centre d’essais de White Sands au Nouveau-Mexique. Les ogives militaires étaient remplacées par des instruments scientifiques destinés à la mesure des caractéristiques de la haute atmosphère, des radiations solaires et des rayons cosmiques. Quelque cinquante V 2 furent ainsi mis à feu. D’autre part, les programmes américains de la fusée-sonde W.A.C. Corporal (lancée pour la première fois en 1945) et des fusées Viking et Aerobee, construites spécialement pour les explorations de la haute atmosphère, permirent de jeter les bases d’une exploration plus systématique de l’atmosphère terrestre. L’U.R.S.S. et, à un moindre degré, la Grande-Bretagne et la France exécutèrent des programmes semblables.

Aux États-Unis comme en Union soviétique, le développement de la technologie des missiles fut tout naturellement orienté vers les vols spatiaux. Tandis que progressaient les préparatifs de l’année géophysique internationale (A.G.I.), la possibilité du lancement de satellites artificiels de la Terre se précisa. En 1954, la commission chargée du programme de l’A.G.I., dans une résolution officielle, estima souhaitable l’utilisation de satellites artificiels. Les États-Unis et l’U.R.S.S. répondirent à cette recommandation: ce devait être, trois ans plus tard, les Spoutnik soviétiques et les satellites Vanguard des États-Unis.

Le 4 octobre 1957, l’Union soviétique lançait Spoutnik-1, le premier satellite artificiel. Cet événement provoqua des réactions en chaîne qui devaient, au milieu de l’année 1969, aboutir au débarquement sur la Lune de deux astronautes américains.

Les satellites d’application constituèrent dès le début une part importante des programmes spatiaux. Les premiers satellites expérimentaux de communications, météorologiques et de navigation ont été lancés en 1960. Quelques décennies plus tard, chacune de ces classes de satellites est représentée par des descendants beaucoup plus complexes.

Avec la «conquête de la Lune» et l’exploration de l’espace, l’homme est entré dans une nouvelle phase de son histoire.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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